NetCom : Itinéraires culturels et représentations numériques / Cultural Routes and Digital Representations

Ce numéro de la revue NetCom (3/4, 2018), que j’ai coordonné, invite à une mise à jour des acquis scientifiques concernant les itinéraires culturels rendant compte d’une série de travaux récents fondés sur l’investigation de nouveaux corpus de données numériques.

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Avant-Propos de M. Severo

Objet d’une patrimonialisation récente de la part du Conseil de l’Europe (Conseil de l’Europe, 2010) et de l’ICOMOS (ICOMOS, 2008), les itinéraires ont joué un rôle clé dans l’histoire de l’humanité. Des voies de commerce aux chemins de pèlerinage, des sentiers naturels aux parcours urbains, ce phénomène a pris des formes différentes à travers les siècles et a révélé sa nature multiforme — sociale, politique, géographique, économique, religieuse, culturelle, etc. (Berti, 2012 ; Timothy et Boyd, 2015). Récemment, les itinéraires sont également devenus des sujets d’intérêt touristiques (Conseil de l’Europe, 2015). De plus en plus de voyageurs choisissent ces options touristiques complexes qui permettent une combinaison non seulement de plusieurs destinations, mais aussi d’expériences diverses au cours d’un même voyage. De plus en plus de touristes préfèrent le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle ou la Route de la Soie à des vacances traditionnelles et stationnaires au bord de la mer.

2Bien que des milliers de marcheurs soient attirés chaque année par ces destinations, les études scientifiques sur les itinéraires culturels ne se sont développées que très récemment et elles sont généralement disciplinaires. Certaines se concentrent sur les aspects religieux, notamment liés au pèlerinage (Eade et Albera, 2015). D’autres étudient le patrimoine culturel et naturel d’un itinéraire spécifique, en privilégiant le point de vue de l’histoire de l’art, de l’histoire ou de la géographie. Plus récemment, des chercheurs en économie et en tourisme se sont intéressés aux itinéraires culturels en analysant leur impact potentiel et réel sur le marché touristique (Majdoub, 2010).

Les études empiriques sur les itinéraires culturels ont également été rares. Jusqu’à récemment, il existait en effet peu de données sur les comportements et les motivations des marcheurs. Cependant, aujourd’hui, la disponibilité de nouvelles sources de données, notamment numériques, autorise des pistes d’analyse novatrices de ces objets culturels. D’une part, la mise à disposition des jeux de données ouvertes concernant les territoires traversés par les itinéraires donne la possibilité de croisements intéressants avec des travaux de terrain plus classiques. D’autre part, puisque les marcheurs utilisent de plus en plus leurs téléphones portables et leurs tablettes pour partager leur expérience sur des plateformes de médias sociaux ou à l’aide d’applications ad hoc, l’analyse de leurs interactions sur le Web peut fournir une image en temps réel de ce qui se passe le long de ces parcours.1 Ce numéro de Netcom, qui se consacre aux représentations numériques des itinéraires culturels, est(…)

4En considérant ce scénario, notre projet PEPS1 se posait un double objectif. D’un point de vue théorique, il visait à construire des collaborations interdisciplinaires inédites autour de l’étude des itinéraires culturels, notamment entre chercheurs en sciences de l’information et de la communication, en géographie et en aménagement du territoire. D’un point de vue empirique, il s’intéressait aux nouvelles possibilités de représentation numérique de ces objets culturels, avec une attention particulière pour les croisements possibles entre des visualisations topologiques qui prennent en compte les aspects symboliques et sociaux d’un itinéraire et des représentations topographiques qui mettent en relief le tissu géographique que le parcours traverse.

5Ce numéro de Netcom, qui invite à une mise à jour des acquis scientifiques concernant les itinéraires culturels rendant compte d’une série de travaux récents fondés sur l’investigation de nouveaux corpus de données numériques, reproduit cette nature double à travers une organisation en deux parties. Dans une première partie, une série d’articles explore l’objet « itinéraire culturel » et vise à éclaircir la compréhension de cet objet patrimonial complexe et récent en cherchant à identifier quels sont les éléments qui contribuent à créer la valeur d’un itinéraire, quelles sont les motivations des marcheurs qui entreprennent ce type de voyage ou quels sont les éléments de ce système patrimonial complexe qui affectent l’expérience du marcheur et qui font l’objet de partage de valeurs. Les trois premiers articles concernent le même itinéraire, la Via Francigena, dont ils proposent des interprétations complémentaires. La Via Francigena possède la particularité de s’étendre à travers quatre pays, de Canterbury à Rome, et de combiner une longue tradition de pèlerinage principalement religieux avec de nouvelles formes de consommation touristiques et culturelles. L’analyse de Cécile Tardy et Marie Gaillard approfondit les représentations générées sur Facebook en comparant la communication officielle de l’association qui gère l’itinéraire avec celles plus spontanées de groupes de marcheurs. L’article d’Éric Masson et Maryvonne Prévot s’intéresse principalement aux représentations dans l’espace physique en analysant la signalétique de quatre tronçons de la Via Francigena. Dans cette étude, les auteurs posent l’accent sur des outils numériques comme le GPS, la photographie, les sites web ou les carnets de voyage qui sont mobilisables par le pèlerin comme outils d’accompagnement sur le chemin et, par le scientifique, comme outils d’analyse quantitative et qualitative des interactions entre un itinéraire et les territoires qu’il traverse. Enfin, l’article de Marta Severo, Kate Jones et Daniele Guido se pose le défi de croiser les deux perspectives en proposant un outil d’exploration visuelle d’un corpus Instagram lié à la Via Francigena. Cet outil, qui s’appuie sur les acquis récents des humanités numériques (Berry, 2012), permet de combiner l’étude des itinéraires, des interactions entre les marcheurs et de leur déplacement d’une étape à l’autre. Enfin, l’article de Pierre Peraldi-Mittelette s’intéresse aux parcours numériques générés par les Touareg en Europe. Dans ce cas, l’itinéraire ne fait pas l’objet d’une patrimonialisation institutionnelle, mais résulte plutôt d’un processus de reconnaissance spontanée par le bas qui se concrétise à travers la production de traces numériques sur Internet liées à l’identité diasporique de ce peuple.

6La deuxième partie de ce numéro questionne les nouvelles manières de représenter les itinéraires culturels à travers des données numériques. Elle est constituée de cas d’études, publiés sous forme de notes de recherche, qui proposent de nouvelles perspectives d’exploration de cet objet patrimonial à travers les technologiques numériques. Ces contributions visent à approfondir les spécificités des deux approches topologique et topographique ainsi que les interconnexions entre elles. Lorsque cela est approprié, elles proposent une approche croisée adaptée à la compréhension des itinéraires culturels en prenant simultanément en compte leurs liens avec le territoire et les nouvelles connexions symboliques rendues possibles par le support numérique. Même si ces notes de recherche s’intéressent à des itinéraires profondément différents, de la Route des films en Basilicate (Delio Colangelo) aux itinéraires de Cluny (Isabelle Brianso), aux parcours urbains historiques de Paris (Maxime Schirrer), le fil rouge qui les rassemble réside dans le lien entre représentation numérique et valorisation touristique. Le croisement entre les niveaux informationnels que la visualisation numérique rend possible permet en effet d’élaborer ou de perfectionner des stratégies de médiation capables d’attirer de nouveaux publics et de mieux satisfaire les marcheurs déjà acquis.

7En conclusion, ces contributions illustrent la nouvelle effervescence autour des représentations numériques du patrimoine culturel et du rôle qu’elles peuvent jouer dans les processus de patrimonialisation, tant institutionnels que citoyens (Besson et Scopsi, 2016). La nouveauté la plus marquante introduite par les nouvelles technologies dans le contexte de la gestion du patrimoine, est représentée par la possibilité de créer un espace numérique unique (une base de données documentaire) où des documents physiquement dispersés sur le territoire sont réunis avec des données nativement numériques générées par l’institution, par le touriste ou par l’habitant. Le caractère commun de ces nouvelles méthodes de visualisation du territoire culturel repose sur la contextualisation de l’information, notamment en combinant des éléments topographiques et des éléments topologiques.Haut de page

Bibliographie

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DOI : 10.1057/9780230371934

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Council of Europe (2015), Cultural Routes management: from theory to practice, Strasbourg: Council of Europe Publishing.

EADE J., ALBERA D. (2015), International Perspectives on Pilgrimage Studies: Itineraries, Gaps and Obstacles, London: Routledge.

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